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2020-09-27T20:38:26+02:00

Le souverain exilé

Publié par Marie-Pierre Blanchet
Dessin de Jacqueline Blanchet - Artiste plasticienne - https://www.facebook.com/jacqueline.blanchet.73

Dessin de Jacqueline Blanchet - Artiste plasticienne - https://www.facebook.com/jacqueline.blanchet.73

Je regarde le monde.
Le monde est en joie.
Le monde improvise une chorégraphie.
Le monde transcende la mélodie de l’existence.
L’existence est belle.
L’existence est insolite.
L’existence est ivresse.

Génies se rapprochant.
Son esprit s’agite : « Monter dans ce vieux bus était peut-être une erreur. Mais ses jambes ne le tenaient plus. Ses pieds n’avançaient plus. Il avait marché trop longtemps sous le soleil ardant. Son squelette allait se disloquer. Il avait hélé le véhicule branlant. Il était monté avec des inconnus. Peu importe la direction qu’ils prenaient, du moment qu’ils avançaient vers le nord. Ensemble. »
Maintenant les génies sont tout près. Il se recroqueville sur lui-même. Il veut disparaître. Il a le cœur au bord des lèvres. Un goût de sel s’empare de sa langue. Une nausée vient. Il sent l’ivresse.

J’écoute les notes.
Les notes sont chaudes.
Les notes ont les saveurs du métissage.
Les notes balancent les corps en rythme.
Rythme lent.
Rythme rapide.
Rythme saccadé.

Ivresse est un tourbillon.
La tête lui tourne. Ses tripes se nouent. La bile monte dans son œsophage.
Les génies se faufilent au travers de l’habitacle. Il est terrifié. Des gouttes de sueur perlent sur son front. Des frissons parcourent son corps. Le froid l’envahit. Son squelette grelotte. Il claque des dents. Il serre les mâchoires. Il ne doit pas faire de bruit. Il doit rester invisible. Fantôme clandestin.
Les génies passent sur son visage. Il est ébloui. Ses paupières se ferment. Sa respiration est saccadée.

Je déguste une boisson sucrée.
Sucrée est la soirée.
Sucrée est la frénésie dansante.
Sucrée est l’amitié.
L’amitié est jolie.
L’amitié est gaie.
L’amitié est avenante.

Saccadée est sa prière.
Des pas. On court. On se sauve. La peur au ventre, il s’arrête de respirer. Il est en état de stress. En état d’attente du pire.
Alerte. Au moindre bruit suspect, il bondit. A la moindre parole suspecte, il s’enfuit. Quelque chose frôle son épaule gauche. Il sursaute. Une main enserre son épaule droite. Prisonnier, il ouvre les yeux sur une frimousse avenante.

Je suis saoule de rhum.
Rhum délie mes bras et mes jambes.
Rhum me donne de l’élan.
Rhum m’entraine dans une danse.
Une danse bien à moi.
Une danse de proximité.
Une danse envoûtante.

Avenante est la liberté.
Les deux adolescents aux traits enfantins se fixent. Le message passe. Accord. Candide, il faut partir. Vite ! Accord. Candide, il faut courir. Vite ! Ne pas penser à une issue fatale. Retrouver l’innocence perdue dans les carcans de la souffrance. Courir. Vite ! Avant que la police ne les retrouve, ne les embarque. Courir. Vite ! Avant que la police ne les emprisonne, ne les torture. Ils ne veulent plus endurer. Ils ne veulent plus être humiliés. Ils ne veulent plus être persécutés.
Son nouveau compagnon l’empoigne par le bras. Franchir une ligne de frontière dans le silence. Là-bas, la liberté sera belle. Là-bas, la liberté sera envoûtante.

Je m’arrête un instant.
Instant d’observation.
Instant de contemplation.
Instant de fascination.
Fascination pour les danseurs virevoltants.
Fascination pour l’entente harmonieuse.
Fascination pour un jeune homme ébène.

Envoûtante est la nouvelle terre.
Le territoire sur lequel il est arrivé quelques jours auparavant l’égare. L’effraie. Sa détermination d’évasion est à bout de souffle. Son soleil lui manque. Il fait si froid ici ! Le froid le glace jusqu’aux os. Il a soif de sa terre. Ses saisons de pluie lui manquent. Ses racines sont distendues. Ses racines sont sur le point de se rompre. Il a envie de rebrousser chemin pour retrouver les siens. Son compagnon d’escapade l’a laissé en cours de route. L’adolescent sait qu’il ne le reverra jamais.
L’adolescent fixe un point au bout de la rue. Il sait qu’il doit continuer seul. Sa détermination revient. Il veut aller là-bas. Là-bas où tout est possible.
Soudain, un éclat derrière lui ! Il se retourne et voit un jeune homme ébène.

Je suis captivé par lui.
Lui, devant moi.
Lui, tout simplement beau.
Lui, dans son corps.
Son corps est fin.
Son corps est musclé.
Son corps est ferme.

Ebène est sa couleur de peau.
Il est devant une psyché. La psyché est dressée au beau milieu de la rue. La rue est peu passante.
Une réflexion est face à lui. Il s’approche d’elle. Il n’ose pas la regarder. Pourtant, la réflexion l’attire. Il ne se reconnaît pas. Il fixe plus attentivement le jeune homme ébène dans le miroir. Réflexion faite, il se reconnaît. Les traits de son visage se sont durcis. Il a perdu l’innocence de l’enfance. Il serre son poing droit. La psyché se brise de son coup ferme.

Je devine sa puissance.
Puissance dans la douceur de ses mouvements.
Puissance dans l’élégance de ses cadences.
Puissance dans la profondeur de son être.
Etre singulier.
Etre tranquille.
Etre voyageur.

Ferme est sa volonté.
Les éclats du miroir s’éparpillent sur l’asphalte. Les éclats du miroir crissent sous ses pieds. Eclats de verre. Eclats de lumière. Eclats de voix. Chut ! Il ne doit pas faire de bruit. Il doit rester invisible dans les rues, dans la ville, dans le pays. Pas de papier. Aucune identité. Fantôme clandestin.
Il erre à la recherche d’un refuge. Il trouve un bâtiment désaffecté, éloigné de la ville. Il cherche à lier connaissance avec des sans-papiers. Mais la galère attise le soupçon. Certains s’observent avec défiance. Le monde est cruel. Pourtant la solidarité entre réfugiés se lie. Les paroles fusent. Les paroles se perdent en échos. Certains regards se veulent bienveillants. Une percée d’humanité dans ce monde en transit donne de l’élan. Le jeune homme ébène s’approche de l’un des réfugiés. Il engage la conversation. L’autre ne répond pas. L’autre a les yeux hagards. L’autre n’existe pas. N’existe plus. Le jeune homme ébène n’insiste pas. Il s’éloigne de quelques pas.
La fatigue le prend soudainement. C’est le soir. Il s’allonge à côté de ses affaires. Il dort à même le sol. Mais la nuit est bruyante. Le brouhaha l’empêche de se reposer. Il somnole. Un cri perçant le fait assoir. Il tente de savoir d’où il provient. L’obscurité amplifie les bruits des dormeurs. Certains parlent dans leur sommeil. Certains grognent des mots incompréhensibles. Certain se retournent constamment comme s’ils étaient poursuivis par des esprits malfaisants. Il écoute. Aucun bruit suspect. Rassuré, il retombe sur sa couche de fortune et s’endort. Un rêve l’emmène jusqu’à une maisonnée. Fin du destin voyageur ? 

Je me fonds en sa personne.
Personne droite.
Personne prudente.
Personne muette.
Muette dans son cheminement.
Muette dans ses sentiments.
Muette dans ses émotions.

Voyageur est son allié.
Le jeune homme ébène savoure le moment présent. Le jeune homme ébène savoure la chaleur qui l’entoure. Des gens bienveillants l’accueillent. Ces gens ne connaissent pas son histoire. Tout ce qui compte est sa sécurité. Son confort. Tout ce qui compte est la discrétion. La bienveillance. On ne le brusque pas. Le repas est sur la table. On le sert. Il ne mange que des petites quantités. Il n’a pas l’habitude que son estomac soit rempli. Il n’a pas l’habitude d’être choyé. Sa retenue scelle ses émotions.

Je suis ses pas.
Pas précipités.
Pas aventureux.
Pas hésitants.
Hésitants sont ses compagnons d’infortune.
Hésitants sont ses liens avec les passeurs.
Hésitants sont ses jours futurs.

Emotions en ébullition.
Il se réveille en sursaut. Dans son lit de fortune, il se remémore : « Il est étranger en devenir. Il quitte sa famille. L’aube se lève à peine. Son début de vie s’estompe au gré de ses pas. Les siens dorment encore. Il ne veut pas les réveiller. Il ne veut pas leur dire au revoir. Le jeune homme ébène s’en va le cœur en larme. Les siens souffrent. Famine ? Sécheresse ? Misère ? Maladie ? Persécutions ? Lui seul sait la raison de son départ. Il laisse son village, derrière lui. Il laisse son village pour sauver les sien. Pour se sauver lui-même. Là-bas, plus au nord,  il trouvera de l’or. Là-bas, plus au nord, il trouvera du renfort. Il en est certain ! Il marchera vers ses périples futurs. »

Il va par delà les frontières.
Frontières de turbulence.
Frontières de surveillance.
Frontières de méfiance.
Méfiance dans les bruits.
Méfiance dans les paroles.
Méfiance dans les songes.

Futurs sont ici et maintenant.
Il randonne sur sa terre d’accueil au fond bleu. Il découvre de nouveaux paysages, de nouvelles plantes. Le printemps est là. La nature naît. Son vert tendre est agréable au regard. Il retrouve son âme d’enfant. Il crapahute sur les sentiers. Son cœur palpite à chacun de ses pas. Des senteurs et des sentiers inconnus le ravissent. Cette terre lui plaît. Il voudrait tant qu’elle l’adopte. Mais il doit être patient. Ses papiers arriveront un jour ou l’autre. Un jour, il vivra en toute sérénité sur ce territoire marin.
A l’arrière de la voiture, il est bercé. Songes.

Il est happé par une cavalière en furie.
Furie luttant parmi ses semblables.
Furie défendant leurs idéaux.
Furie combattant à tous temps.
Temps aride.
Temps diluvien.
Temps houleux.

Songes au seuil d’une hutte se faufilant au dehors.
La mort rode au quotidien. La mort attrape tout sur son passage. L’adolescent s’échappe avant que la mort ne l’emporte. Lieu maudit par la misère, la hutte disparaît.
Il traverse l’Afrique. Le roseau se plie sous les rafales de l’harmattan. Le roseau ne se brise jamais sous les cris haineux. Les embruns fouettent son visage. Les dunes se meuvent. Le roseau arrive sur une plage. Des dizaines de roseaux attendent déjà. Tous attendent le bateau qui les emmènera vers la terre promise. Dans la soirée, ils embarquent. Faute de place, des roseaux restent sur la plage. Les délaissés regardent leur liberté partir au large.
Depuis quelques jours, le bateau navigue en pleine Méditerranée. Le roseau navigue parmi les siens. Beaucoup ont le mal de mer. Les râles et les pleurs d’enfants accentuent la douleur environnante. Tous sont affamés mais le peu de nourriture qu’ils ingurgitent les rend malade au point de vomir.
Soudain la terre ferme apparaît. Les moteurs du bateau ralentissent. Le commandant de bord attend un accord. Un accord pour accoster. Un accord pour apporter du secours à ces gens en détresse. Mais aucun port ne veut les accueillir. Le commandant remarque une silhouette sur le pont. Le commandant pense que sauter du pont et nager jusqu’à la côte des Droits de l’Homme sont réalisables. Le commandant sait que seul un conquérant peut arriver à destination sans périr.
A la nuit tombée, un jeune homme ébène plonge dans une mer d’huile. L’eau est glacée. Son cerveau se met en veille. Ses bras et ses jambes s’engourdissent. Le calme de l’eau l’apaise, l’attire vers le fond. Se laisser aller, ne plus rien ressentir seraient une belle fin. Le vent se lève. Le goût du sel s’empare sa bouche. Il est en train de se noyer. Il remonte à la surface, prend une grande inspiration. Son cerveau se reconnecte. Ses bras et ses jambes se remettent en fonction. Le vent souffle. Il tente de nager vers la terre, vers les lumières qui se profilent au loin. Mais le courant l’empêche d’avancer. Ses forces l’abandonnent de nouveau. Il décide, alors, de se laisser dériver sur les flots houleux.

Il se nomme Alassane.
Alassane opte pour l’aventure.
Alassane marche tout droit.
Alassane a un cœur.
Cœur d’armes contre l’injustice faite aux hommes.
Cœur vaillant rempli d’amour.
Cœur regardant le lever du soleil rouge.

Houleux sont les vents.
Alassane est sur une plage. Epuisé, il s’endort sur le sable. Combien de temps dort-il ? Nul ne sait. Il rêve d’une brûlure vive. Il est dans les flammes. Il se consume. Il devient un amas de cendre. Le vent le soulève légèrement puis l’emporte par delà les nuages. Maintenant le phénix vole au-dessus d’une étendue indigo. Les souks de Marrakech célèbrent la couleur. Le muezzin appelle à la prière. Alassane redevient homme. Alassane renait dans son pays. Au loin, des hommes pêchent sur des embarcations décorées. Sur des embarcations colorées. Alassane marche dans son village. Son clan l’entoure, heureux de son retour. Leur sourire est éclatant. Un poulet mafé cuit sur le foyer. Alassane s’approche de la source de la chaleur. Le plat agrémenté d’arachide mijote tranquillement pour fêter le retour du héros. Il s’installe parmi les siens. Le plat est au centre du cercle familial. Une immense fleur éclot sur le sol. Ses pétales sont chamarrés. Son cœur est embaumé par les saveurs de l’Afrique. La fleur frémit, bourdonne tel un essaim d’abeilles. Des chants célèbrent le travail de la terre. Le présent et le passé sont enchaînés. De l’or coule. Le vert foisonne. Le dos des esclaves s’écorche d’un liseron rouge.

Alassane danse les yeux fermés. 
Fermés sont les agents de l’administration.
Fermés sont les policiers arrogants.
Fermés sont les préjugés en tout genre.
Genre humain.
Genre en bouleversement.
Genre en migration.

Rouge est le sang.
Un vieil esclave est dans un cachot. Les chaînes lui donnent peu de leste. Animal traqué, l’homme à la crinière grise a le regard triste. Animal battu, l’homme à la peau tannée pleure, sanglote.
Alassane se réveille en sursaut. Son visage est constellé de grains de sable. Epuisé, il peine à ouvrir les yeux. Il a encore cauchemardé. Le visage du vieil homme est encore devant ses yeux. Il ne connait pas son identité. Ni son histoire. Pourtant, le vieil esclave revient souvent dans ses rêves. Est-ce un aïeul ? Oui, sans doute. Les rêves sont là pour révéler ce que les hommes ont enfoui dans leur âme. Alassane ressent un immense chagrin. Est-il prisonnier, lui aussi ? Au loin, il entend des voix étrangères. Est-il sur un marché d’esclaves ? Quand ce cauchemar cessera-t-il ?
Les histoires d’esclaves le poursuivent depuis qu’il est enfant. Il n’a jamais compris la méchanceté des hommes. Enfant, l’injustice le faisait rugir comme un lion en cage. Enfant, il se sauvait à la moindre bribe d’une histoire passée. Il ne pouvait pas écouter les atrocités vécues un ou deux siècles plus tôt. Non, il ne le pouvait pas. Alors adolescent, il décida de partir sur les chemins du jour au lendemain. Comme l’hirondelle en migration.

Alassane est en transe.
Transe, entre rêve et réalité.
Transe, entre hier et demain.
Transe, un équilibre précaire.
Précaire est la vie d’un migrant.
Précaire est le fantôme clandestin.
Précaire est l’accès à ses droits.

Migration telle un fil d’Ariane.
L’hirondelle est sur un fil. Départ imminent. Alassane est sur le fil. Départ précipité. L’hirondelle et Alassane se croisent en chemin. Ils filent vers la terre où ils seront bien. La chaleur du soleil pour elle. La douceur de la vie pour lui. Ariane est leur compagne idéale. Rien ne les détourne du but de leur voyage.
Alassane sort de sa torpeur. Il n’ose pas bouger. Où est-il ? Alassane est aux aguets. Aucun bruit inquiétant. Alassane se détend. Il sent alors une chaleur dans son dos. Elle ne le brûle pas. Cette chaleur est plaisante. Il est si bien. Il n’ose pas bouger. Où est-il ? Du sable fin glisse sous ses paumes. Il entend les roulis des vagues au loin. Est-il arrivé en France ? Oui, il se peut bien. Alassane sourit. Il sait qu’Ariane l’a amené à destination : au pays des droits de l’Homme. Alassane ferme les yeux, savourant ce moment de gloire. Il rêve qu’il obtient ses droits.

Alassane prend ses marques.
Marques indélébiles.
Marques écrites.
Marques branchées.
Branchées sont les lianes familiales.
Branchées sont les ondes du monde.
Branchées sont les paroles des gens.

Droits s’obtenant au compte-gouttes.
La France n’est pas si généreuse. Les demandeurs d’asile doivent écrire leur histoire pour rester sur le territoire. Les demandeurs d’asile tremblent devant le tribunal. Si une histoire n’est pas suffisamment tragique, l’étranger revient à la case départ. Si une histoire est rocambolesque, l’étranger se verra chassé. Combien ont été refoulés ? Combien ont été reconduits à la frontière ?
Alassane sait qu’il ne doit pas flancher. Alassane sait qu’il a une bonne étoile. Sa bonne étoile est son instinct. Il écrit son parcourt. Sa bonne étoile le guide au gré des lignes. Les mensonges n’ont pas lieu d’être, seule la réalité suffit pour décrire toute l’horreur vécue pendant le voyage. Rester aux faits et tout ira bien. Ses nouveaux amis l’accompagnent à chacun de ses mots. Sa nouvelle tribu l’encourage au moindre signe de découragement.
Alassane est triste. Les siens lui manquent malgré son téléphone portable dans sa poche. Parfois, la voix de son frère lui parait lointaine. Ses racines ne se rompent pas pour autant. Le cœur d’Alassane s’écorche vif lorsqu’il s’enquiert de la santé de sa mère malade. Son pays n’a pas de remède. Les médicaments sont pratiquement inexistants. Son pays doit faire face au mal en priant pour qu’il s’arrête comme par magie. Alassane envoie de l’argent dès qu’il en possède. Mais l’argent se fait rare quand on est un sans papier. Un sans papier n’a pas le droit de travailler. Comment vivre sans le sous ? Solution : travail au noir sans protection sociale et au salaire minable. Solution : quête dans la rue au risque de se faire attraper par les hommes de loi ou de se faire agresser. Solution : réseaux mafieux qui drainent l’esclavage en tout genre.
Alassane est un migrant. Il a foulé des territoires hostiles pour arriver jusqu’ici. En France. Il a vécu des atrocités qui resteront gravées dans sa mémoire jusqu’à son dernier souffle de vie. Traumatisé, il parle de ses maux. Traumatisé, ses maux s’évaporent pendant un instant. Traumatisé, il espère des jours meilleurs.
Mais demain, Alassane passe au tribunal. Quel délit a-t-il commis ? Il le saura bien par les paroles de ces gens.

Alassane est là.
Là, entouré de chaleur humaine.
Là, à l’abri de tous dangers.
Là, confiant en un lendemain de liberté.
Liberté : mouvement.
Liberté : pensée.
Liberté : expression.

Gens de lois.
Temps clément. Ce soir, le jeune homme ébène a une bonne nouvelle. Ce soir, le jeune homme ébène est rayonnant. Ce soir, le jeune homme ébène danse. Il danse les yeux fermés. La bonne nouvelle est arrivée le matin même. Le voilà en possession d’un papier officiel. Dorénavant, il peut circuler dans le pays en toute tranquillité. Mais ce papier est provisoire. Le jeune homme ébène est encore en transit. Il doit garder précieusement ce papier dans sa poche.
Ce papier est le mouvement. Ce papier est la pensée. Ce papier est l’expression.

Un homme s’approche d’Alassane.
Alassane le frôle.
Alassane ouvre les yeux.
Alassane est son ami.
Son ami est cuisinier.
Son ami est monumental.
Son ami est son sauveur.

Expression est en fusion.
Ce soir, Alassane est heureux. Ce soir, Alassane savoure sa victoire. Alassane regarde l’homme qui se tient à côte de lui. L’homme se nomme Ernest. Le visage d’Alassane s’éclaire. Le visage d’Ernest s’éclaire. Ernest est venu fêter la bonne nouvelle. Alassane saute au cou de son sauveur.

Alassane et Ernest s’assoient sur le canapé.
Le canapé est confortable.
Le canapé délie les langues.
Le canapé est témoin dans leur rencontre.
Rencontre inespérée pour l’un.
Rencontre héroïque pour l’autre.
Rencontre avec un souverain exilé.

Sauveur est là.
Alassane est là. La fête est finie. Nous sommes au petit matin. Nous sommes assis dans le salon. Nous sommes témoins de leur histoire :« Un individu tente de se mettre debout. En vain. L’individu s’écroule comme une poupée de chiffon. La plage est déserte. Ernest scrute l’horizon. L’individu ne se relève pas, ne bouge pas. Il y a urgence. L’immobilité de l’individu l’effraie Ernest se précipite… A ses pieds, Ernest trouve un naufragé évanoui. Un naufragé à peine sorti de l’adolescence. Un gamin malmené par la vie. Un gamin en haillon. Ernest regarde aux alentours pour trouver du secours. Mais personne. Le sauveur s’agenouille, remarque que le gamin respirait avec difficulté. Le sauveur soulève le gamin léger comme une plume.
Le gamin est allongé dans un petit lit. Il dort d’un sommeil agité. Ernest le surveille. Ernest attend que le gamin se réveille. Ernest veut lui donner sa première cuillerée. Longue convalescence et petits plats mijotés. Ernest prend soin du gamin qui reprend peu à peu ses forces.
Le gamin est très beau. Ses traits fins lui donnent un air de souverain. Un souverain exilé. »

Nous nous serrons fort avant de partir.
Partir sans une larme.
Partir sans un adieu.
Partir pour un aller retour.
Retour vers moi.
Retour vers  toi.
Retour vers nous.

Exilé arrivé à destination.
Aujourd’hui, Alassane croque dans une pomme à pleine dent. Aujourd’hui, Alassane est un citoyen français.
Leurs invités doivent arriver d’un instant à l’autre. Ernest est revenu du marché. Ernest veut préparer un repas simple et savoureux. Alassane l’aide en cuisine.
A notre arrivée, les maîtres de cérémonie tendent les bras vers nous.

(27 septembre 2020)


Marie-Pierre Blanchet

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